A l’occasion de la sortie de Star Fox Zero et des énièmes remous inutiles qu’a provoqué l’annonce de l’inclusion d’un Arwing invincible dans le jeu, nous aimerions revenir sur le concept controversé du Super Guide.
Qu’est-ce que le Super Guide ?
Dans New Super Mario Bros Wii, le Super Guide est une une option qui permet d’aider un joueur à surmonter des passages trop difficiles pour lui. Lorsqu’un joueur solo perd 8 vies consécutives sur un niveau, le jeu fait apparaître un bloc vert. S’il est activé par le joueur, un Luigi contrôlé par la console vient lui montrer la marche à suivre.
Par abus de langage, l’appellation « Super Guide » regroupe aujourd’hui tous les systèmes d’aide au joueur mis en place par Nintendo dans ses jeux.
Cette initiative, qui n’a clairement pas d’autre but que de ne pas laisser de joueurs sur le bas-côté quel que soit leur niveau, est régulièrement pointée du doigt par la communauté des joueurs. Et dans bien des cas, c’est sans grand fondement, comme nous allons le voir par la suite.
Aux origines des guides de jeux vidéo
Beaucoup évoquent l’âge d’or des console 8 et 16 bits pour la « pureté » de l’expérience de jeu qui les caractérisait.

Super Gouls ‘n Ghosts ?
A cette époque, pas de Super Guide, pas d’assistanat dans les jeux vidéo ; uniquement des jeux bruts, épurés et parfois très ardus, souvent sans même la possibilité de sauvegarder. Pour espérer les terminer, il fallait une persévérance à toute épreuve, et même une certaine dose de courage selon les titres. C’est toute la patience et l’abnégation accumulée par le joueur qui le faisaient exulter lorsqu’il arrivait enfin à vaincre la machine. Un plaisir rare et précieux dont de nombreux joueurs se souviennent avec nostalgie.
Mais la nostalgie est trompeuse et la mémoire des joueurs bien volatile.
De cette période, où nombre d’entre nous étions enfants, nous omettons souvent certains détails. Des détails comme ce copain, qu’on a tous eu, chez qui on allait jouer à la console (ou qu’on allait regarder jouer selon son humeur). Ce cousin un peu plus âgé que nous, qui nous montrait comment battre un boss, qui nous filait ses mots de passe ou ses cheat codes.
Ce gars là, que nous trouvions super cool, ses tips, d’où les tenait-il ?
Hé bien, parfois c’était d’un autre pote, mais il y a aussi de fortes chances qu’il ait eu tout simplement recours à des soluces, comme on en trouvait déjà dans quelques magazines spécialisés.
A l’époque, la demande de soluces en tout genre était telle que lesdits magazines peinaient à la combler. Pour y répondre, les éditeurs prenaient déjà des initiatives pour fournir eux-même des aides au joueur.
Chez Nintendo, cela a donné, entre autres, la hotline SOS Nintendo qui fournissait une aide aux joueurs bloqués ou en péril dans l’un des multiples jeux de l’éditeur. Ainsi, au plus fort de son activité, la hotline Mario mobilisait en France une bonne trentaine de personnes à plein temps.

Certains parmi ces jeunes pleins de fougue travaillent encore aujourd’hui chez Nintendo.
L’utilité de cette hotline ne diminua que lorsque l’offre de presse devint suffisamment conséquente ; avec plus de magazines, des guides papiers et même des émissions télévisées donnant des trucs et astuces. Puis vint l’ère d’internet, où une simple requête sur Gamefaqs vous donne instantanément accès à tous les secrets d’un jeu. Cependant, on a ouï dire que jusqu’à il n’y a pas si longtemps, cette fameuse hotline était encore fonctionnelle et qu’il y avait encore parfois des joueurs perdus qui faisaient sonner un téléphone, dans un local un peu à l’écart des petits bureaux de Nintendo France…
Nintendo a donc compris très tôt une chose toute simple : un joueur systématiquement vaincu par le jeu n’est pas un joueur satisfait. Car dites-vous bien que cette aide au jeu n’est pas désintéressée. Le travail des téléopérateurs de cette hotline, si anodin qu’il puisse paraître, a contribué à son échelle au succès même de ces jeux, et plus important encore, à l’image de qualité de la firme.
Une nouvelle forme d’aide au joueur
Bref, vous l’aurez saisi, le fait d’assister les joueurs dans leur partie n’est pas vraiment récent pour Nintendo et le Super Guide n’est qu’une nouvelle façon de faire exactement la même chose, mais sans frais téléphoniques exorbitants ni musique d’attente interminable.
Aujourd’hui, ou du moins depuis une petite dizaine d’années, Nintendo doit prendre en compte de nouveaux paramètres pour ajuster l’accessibilité de ses titres.

Mais il était déjà mauvais perdant
Depuis la DS et la Wii, est entrée sur le marché une nouvelle population qui n’est pas familière avec les codes habituels du jeu vidéo. L’ambition affichée du constructeur est de faire en sorte qu’une bonne partie ces personnes, arrivées avec WiiFit ou Entrainement cérébral du Professeur Kawashima, se tournent vers ses titres plus classiques. Or, pour viser un public plus large, il faut faire en sorte de s’adapter aux capacités de jeu de chacun, pour laisser le moins de monde possible sur le bord de la route. Et pas question non plus de baisser drastiquement la difficulté de ses titres, sous peine de s’aliéner les habitués.
La présence d’une aide au joueur est donc toujours nécessaire, et il convient d’en adapter la forme à ce nouveau public qui n’ira pas forcément chercher sur internet ou acheter un guide avant de simplement laisser tomber le jeu.
C’est en se basant sur ces constats et en y cherchant une solution qu’a été mis en place le Super Guide actuel.
Il est ainsi intéressant de lire l’interview Iwata Demande sur New Super Mario Bros. Wii, le premier jeu à inclure un Super Guide. Asuke, le réalisateur du jeu, explique s’être inspiré de la bonne vieille technique du camarade qui vous montre comment finir un niveau. La chose a simplement été automatisée : si vous lui en faites la demande, le jeu prendra le contrôle de votre personnage et vous montrera le run qu’un développeur a réalisé, comme s’il jouait à côté de vous. Le run en question doit être didactique et pédagogique, calibré pour encourager le joueur à réessayer.
Le but n’est donc pas de mâcher le travail du joueur, mais bien de l’initier. Un peu comme lorsque vous voulez apprendre à un ami à jouer à ce jeu de combat qui vous plaît tant ; si vous lui mettez la manette en main et que vous lui démontez la tronche directement, il y a peu de chance qu’il joue longtemps contre vous. Mieux vaut commencer par lui apprendre les bases du jeu, lui faire se choisir un personnage et l’aider à s’entraîner.
Malheureusement, les joueurs les plus passionnés ne sont pas toujours les plus pédagogues et les plus prévenants.
Variations et contraintes
Selon le type de jeu, la méthode à appliquer ne sera pas la même.
S’il est pertinent de montrer où sauter et courir dans un platformer 2D, avoir un Auto-Link qui résolve tout seul les énigmes des donjons nuirait à l’intérêt même du jeu. Il vaudra donc mieux donner des indications de plus en plus exhaustive au joueur, mais sans le priver de la découverte du terrain. De ce fait, ce concept de Super Guide se décline dans les Zelda 3D récents par une pierre Sheikah, qui peut dévoiler au joueur les détails et les secrets du jeu qui lui ont échappé. A là manière de votre fameux copain de classe qui vous disait où trouver la clef de la salle qui contient le quart de cœur qui vous manque.
Dans des jeux d’action pure, comme le tout récent Star Fox Zero, le plus intéressant reste de faciliter la partie d’un joueur peu adroit qui bute encore et toujours sur le même passage. Le jeu lui offre donc des power-up (ici un Arwing invincible) pour qu’au terme d’une partie sans gloire il puisse enfin voir autre chose que ce sempiternel secteur spatial qui le frustrait tant.
Pour que ce système soit efficace, il convient néanmoins de respecter un certain nombre de contraintes.
La première est d’abord de ne pas être intrusif. Aucun joueur n’a envie de se faire assister contre son gré. Il est déjà un peu humiliant de se voir proposer une assistance, ce n’est pas pour qu’en plus on nous l’impose. C’est quelque chose que Nintendo a parfaitement compris ; dans l’immense majorité des cas, le Super Guide n’est proposé au joueur qu’au bout d’une longue série d’échecs. Il ne m’est par exemple arrivé qu’une seule fois de croiser Harmonie Cosmique durant toute ma partie de Super Mario Galaxy 2, pourtant bien plus riche et ardu que son prédécesseur.
De plus le Super Guide est systématiquement optionnel. C’est au joueur et à lui seul de savoir s’il consent à l’utiliser, quitte à perdre un peu de sa fierté au passage, ou s’il met au contraire un point d’honneur à finir le jeu sans aucune aide.
Sur ce point, il est amusant de remarquer que c’est un autre rouage bien plus classique des jeux Nintendo qui a tendance à déraper. Ainsi l’aide la plus intrusive dont on se souvienne est sans conteste Fay, l’esprit de l’épée de Légende dans The Legend of Zelda : Skyward Sword, qui vous spoilera sans vergogne tous les objectifs principaux du jeu sans que vous ne lui demandiez quoi que ce soit. Véritable point noir d’un jeu pourtant conçu avec grand soin, elle n’en reste pas moins un sidekick standard comme on en trouve dans tous les Zelda 3D. Un concept bien antérieur à celui du Super Guide.
L’autre composante essentielle à l’efficacité de cette fonctionnalité est simplement de laisser une marge d’accomplissement au joueur, même lorsqu’il y a recours. S’il ne reste rien à découvrir, le joueur sera privé de toute sensation gratifiante liée à la réussite d’un objectif, et n’aura donc aucun réel attachement au jeu.
C’est notamment pour cela que le Super Kong de Donkey Kong Country Returns ne vous ramassera aucune lettre K.O.N.G. ni pièce de puzzle. Vous sortir de l’impasse oui, mais il n’est jamais question de compléter le jeu à votre place. Certaines récompenses se méritent, et le joueur devra apprendre du Guide plutôt que d’attendre sagement qu’on lui donne la becquée.
Réception et critiques
Observé avec un minimum de recul, le Super Guide n’a donc rien de bien méchant.
Pourtant, il cristallise un certain nombre de crispations dans la communauté des joueurs.

Les vrais héros prennent Toad.
En premier lieu, le joueur a peur qu’on déprécie les jeux qu’il aime en en réduisant artificiellement la difficulté. Le Super Guide est ainsi vu comme un facteur augmentant la facilité des jeux actuels et les plaintes à ce sujet vont bon train. Qu’importe que cette fonction n’ait strictement aucune influence sur le game design de tous les jeux qui en sont pourvus et qu’importe que les développeurs s’évertuent à fournir du contenu dans leurs titres. Pour eux, le Super Guide pipe les dés, alors que c’est justement pour éviter d’avoir à baisser la difficulté des jeux qu’il a été mis en place.
Mais, ironiquement, ce sont souvent les mêmes personnes en mal de challenge qui taxent Donkey Kong Country Tropical Freeze de difficulté excessive ou qui raillent le manque d’ambition d’un Super Mario 3D World sans réellement en avoir exploré tous les aspects.
Le fait que la chose soit optionnelle ne contente pas non plus les râleurs de tout poil. « Si l’option est là, il est difficile d’y résister. », arguent-ils. C’est pourtant nier leur propre volonté et libre arbitre. Comme si tout joueur ne pouvait rien décider et n’était bon qu’à subir, alors que c’est justement l’idée qu’ils semblent vouloir combattre. Un beau morceau d’incohérence.
Mais tout cela n’est que de la poudre aux yeux.
Non, en réalité, ce qui dérange une grande partie des joueurs, ce qui leur est insupportable, c’est tout autre chose. C’est simplement l’idée qu’un novice sans talent particulier puisse avancer lui aussi dans le jeu sans fournir un effort qu’ils considèrent comme légitime.
Du scoring à l’élitisme
La compétition fait partie de l’ADN de la communauté des joueurs, depuis le tout début.

La quête du high score est dans la culture de tous ceux qui se considèrent comme des gamers. Depuis les années 90 et l’avènement des jeux de baston, les joueurs ont encore d’avantage pris goût à l’affrontement. Ce qu’il faut, ce n’est plus simplement réussir le défi lancé par la machine, ni même seulement être le meilleur au tableau des scores, mais bien battre le maximum d’adversaires. Cet esprit compétitif a ses avantages, mais porte aussi un certain nombre de travers, au premier rang desquels le fait de globalement accepter une mentalité malsaine qui serait immédiatement pointée du doigt dans tout autre milieu culturel.
Dans le petit monde des amateurs d’animation japonaise, par exemple, on traite vite d’élitiste une personne un tant soit peu critique envers ce qu’elle regarde, une personne qui tente d’aborder l’animation comme une culture, et plus comme une sous-culture. Et on se trompe. Lourdement.
L’élitisme, le vrai, c’est cette idée qu’il y a une certaine frange du public qui ne devraient pas avoir accès à tout ou partie des œuvres, parce qu’il n’en serait pas digne.
Et cette idée serait inadmissible pour des cinéphiles ou des mordus de littérature. Chez ces communautés, ce sont les œuvres qui ne sont parfois pas dignes de leur public, jamais l’inverse.
Pourtant, chez les gamers, on use et abuse de cette rhétorique nauséabonde sans aucun complexe. On a fait du non initié un ennemi à abattre : c’est la figure du casual, un monstre protéiforme totalement fantasmé sur lequel passer ses nerfs.
Bien peu de voix s’élèvent contre cette distinction faite entre les « vrais joueurs » et les « sous-joueurs ». Elle s’est généralisée sur la plupart des forums et sites dédiés au jeu vidéo, sans que cela ne fasse plus tiquer personne. Comme si c’était une évidence, un fait immuable et tacite. Cette omniprésence nous a fait oublier qu’un jour, chacun de nous a aussi pris un pad en main pour la première fois. De plus, elle nous empêche de nous poser certaines questions bien plus importantes.
Au fond, qu’est-ce que ça nous enlève à nous, gamers, que Mme Michu puisse aussi finir ces jeux que nous aimons tant ?
N’y gagnons nous pas au contraire un peu de compréhension, un peu d’acceptation de ces personnes pour qui, il y a 10 ans encore, le jeu vidéo créait des assassins violeurs d’enfants ?
3 Responses
Seilin
Un superbe article bien détaillé!
C’est vrai que les aides sont souvent critiquées, et j’ai tendance à facilement tiquer quand j’en vois une, et à crier au jeu trop facile! Pourtant, je la laisse de côté dans bien des cas, et puis on en parle plus! Je ne me souviens pas en avoir utilisé dans des Mario ou Donkey Kong, même si pour ce dernier, c’était parfois tentant, mais j’avoue que les pierres Sheikas m’ont parfois servie dans ma quête sur Ocarina of Time! Pourtant je ne suis pas une novice…
Et je préfère avoir recours à ce système que me dire que je n’arriverai jamais à finir le jeu.
Par contre, j’apprends à l’instant l’existence de la Hotline Nintendo! Je ne savais pas qu’elle existait ^^
R@el
Le super guide c’est pour les casu
Cirrus
« A cinq ans j’ai fini Mega Man II. » said no-one, ever.