Alors que la fin de mon New Game + de Xenoblade Chronicles 2 approche, de nombreux morceaux figurant sur sa bande-son font leur chemin dans ma tête pour y rester pour de bon. Ce jeu, pour lequel je rejoins l’avis Excellent de Tchettane, s’inscrit sans rougir dans la lignée de ses deux prédécesseurs en ce qui concerne la qualité de leur musique. Xenoblade Chronicles est devenu très rapidement une franchise incontournable pour tout joueur mélomane qui se respecte, comme quoi Yasunori Mitsuda nous prouve une nouvelle fois qu’il lui suffit de deux jeux pour rendre une franchise légendaire. Au milieu de la pléthore de thèmes absolument somptueux dont regorge ce jeu, j’ai choisi de m’attarder sur deux d’entre eux spécifiquement, pour essayer d’en extraire ce qui constitue probablement les « thèmes officieux » de deux personnages clé du jeu : les Aegis.
Spoiler alert obligatoire : au moins à hauteur du Chapitre 4 du jeu, et j’ai tâché de rester vague pour la suite, mais je recommande d’attendre d’avoir fini le jeu pour lire cet article.
Les deux morceaux que je veux dépiauter portent les titres suivants : « Counterattack » et « After Despair and Hope ».
I – Counterattack
« Counterattack » est un morceau que l’on entend à plusieurs reprises lors de scènes cinématiques du scénario. Musicalement, il est construit de manière extrêmement proche à « Engage The Enemy » issu du premier opus :
- une ouverture très rythmée d’emblée, avec une mélodie de piano très appuyée, suivant un motif de chute (on part de notes aiguës et on descend en quelques temps vers des notes plus graves)
- sur un fond plus ambiant, une guitare éléctrique entame un riff assez mélodieux, qui se poursuit en dialogue avec piano et cordes
- assez subitement, l’accompagnement s’emballe et les cordes se mettent à jouer un thème qu’on pourrait qualifier de thème principal du morceau
- l’atmosphère redevient légèrement plus calme, mais tout de même pas autant qu’avant, et plusieurs variations et reprises des deux points ci-dessus s’enchaînent
- un saut de tonalité s’opère et le thème principal est repris une dernière fois en une sorte de coda, qui s’achève de manière abrupte (dans le cas de « Engage The Enemy » uniquement, par une descente de piano quasi identique à celle de l’intro)
La ressemblance déjà immense entre ces deux structures est soulignée par une utilisation de quasiment la même orchestration. La seule différence notoire est la présence de voix en chœur sur « Engage The Enemy », quand « Counterattack » est purement instrumentale. Cependant, en termes de scénario, « Counterattack » et « Engage The Enemy » sont diamétralement opposées.
« Engage The Enemy » survient dans le premier Xenoblade à des moments terribles et souvent tragiques, pour accompagner un énorme échec de Shulk. L’émotion y est palpable et la musique illustre à merveille toute l’énergie que Shulk déploie, avant malheureusement de ressortir vaincu de l’assaut.
« Counterattack », à l’inverse, peut être entendue lors de moments où, avec l’aide de Mythra, Rex parvient à retourner une situation difficile l’opposant à Malos. Ce point est très important pour l’analyse comparée de « Counterattack » et « After Despair and Hope ».
II – After Despair and Hope
« After Despair and Hope » est la musique du dernier combat qui oppose Rex à Malos. Structurellement assez indépendante du modèle « classique » des thèmes de combat des jeux Xenoblade, elle a elle aussi une structure avec introduction, thème, variations, saut de tonalité et conclusion. Bien sûr, comme il s’agit d’une musique de combat, elle reboucle indéfiniment, mais si on isole les premières 3 minutes 25, on a vraiment un morceau dont la structure est très proche de celle de « Counterattack ».
- Une ouverture, cette fois-ci orchestrale avec principalement percussions et cuivres, mais surtout, en montée du grave vers l’aigu
- La mise en place de l’ambiance du morceau, grandiose, avec choeur complet et orchestre
- L’arrivée tout en puissance du thème principal de « After Hope and Despair », joué au piano sur lit d’orchestre
- Une section d’improvisation, notamment au synthétiseur de type Moog, pendant laquelle change subrepticement la tonalité du morceau
- Un retour du thème en coda, suivi d’une conclusion au piano, délicate, sous forme de chute, comme à la fin de « Engage The Enemy ».
Au niveau de l’orchestration, rien à voir avec les deux thèmes épluchés plus haut. La musique est titanesque, l’heure est très grave, et bien que de la guitare électrique et de la batterie puissent être entendues, l’ambiance rock est mise de côté pour laisser place à l’orchestre et au synthétiseur Moog, que l’on pouvait déjà entendre comme instrument soliste tout au long du thème des Falaises de Morytha, un endroit que l’on traverse dans le but clair et précis d’atteindre Malos.
Au niveau de l’histoire, ce morceau étant une musique de combat, il est assez clair que pour que l’histoire avance, Malos va être vaincu. La tragédie qui émane de ce morceau, ainsi que sa conclusion en chute, place donc le joueur dans une position étonnante : le jeu nous demande de ressentir les émotions de l’adversaire que l’on est en train de vaincre. L’échec décrit par cette musique, c’est celui de Malos. La petite mélodie finale de piano, c’est son couperet. Ceci n’est pas surprenant, puisque quelque temps avant, le jeu nous faisait ressentir la tristesse de Jin lorsqu’on le combattait.
III – Une pièce en deux actes
Au-delà de l’analyse musicale de coin de table que j’ai déroulée ci-avant, c’est la relation entre « Counterattack » et « After Hope and Despair » qui m’intrigue. Ce qui les oppose, et surtout ce qui les lie.
Les émotions suscitées par ces deux morceaux, confirmées par les événements qu’ils accompagnent, sont contraires. « Counterattack » est le soulagement et l’enthousiasme ressentis quand on trouve la solution qui nous sort du pétrin. « After Despair and Hope », c’est le drame, le dernier souffle d’une force formidable. Quand « Counterattack » est assurément rock, brutale et électrique, « After Hope and Despair » est symphonique, délicate et acoustique. Mais il y a deux motifs musicaux présents dans les deux morceaux qui poussent tout auditeur attentif à les relier, et c’est précisément l’objet de cet article : les thèmes des deux Aegis.
Si vous avez écouté les deux morceaux en suivant la structure que j’ai décomposée, vous vous êtes sans doute rendu compte de ces deux faits :
- l’ouverture de « Counterattack » est le thème principal de « After Despair and Hope »
- la conclusion de « After Despair and Hope » est le thème principal de « Counterattack »
A partir de ce double constat et de la valeur scénaristique de ces deux thèmes, on voit se dessiner une pièce en deux actes :
- Counterattack : une entité A (ouverture) met Rex en difficulté et l’entité B (thème principal) l’aide à en sortir vainqueur
- After Despair and Hope : l’entité A lutte de toutes ses forces contre Rex et échoue, laissant derrière elle l’entité B
IV – Les Thèmes des Aegis
Depuis le chapitre 4 du jeu, on sait que Mythra et Malos sont deux Aegis. Des êtres transcendant la nature des Lames, créées par l’Architecte lui-même. Sans rentrer inutilement dans les détails, ces deux personnages sont d’une importance majeure dans l’histoire du jeu. Je pense, à l’écoute de ces deux morceaux de l’OST, que l’équipe de composition du jeu a créé un thème pour chacun des deux, bien qu’aucun morceau ne s’appelle explicitement « Mythra’s Theme » ou « Malos’ Theme ».
Le thème principal de « Counterattack », qui fait aussi office de conclusion à « After Despair and Hope » est, à mon avis, le thème de Mythra.
Le thème principal de « After Despair and Hope », qui fait aussi office d’ouverture de « Counterattack » est, à mon avis, le thème de Malos.
Une fois ces deux motifs identifiés comme les thèmes respectifs des deux Aegis, je trouve que les deux morceaux prennent bien plus de sens, et l’aspect structurel de ce rapprochement est bien trop parfait pour que ce soit du hasard. Selon, moi, nous avons ici un magnifique exemple du souci du détail dont font preuve les compositeurs et le directeur créatif de Monolith Soft, Tetsuya Takahashi, pour concevoir une oeuvre multimédia extrêmement cohérente.
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