On ne présente plus The Legend Of Zelda: Ocarina Of Time et il est inutile de rappeler que ce jeu compte parmi les transitions les plus réussies d’une série de la 2D vers la 3D. Bien que la partie musicale de la franchise n’ait pas littéralement acquis une nouvelle dimension dans ce passage de la SuperNES à la Nintendo 64, cela n’a pas empêché Koji Kondo d’enrichir son travail de mise en musique de ces jeux, bien au contraire. Je reviens aujourd’hui sur le joyau vidéoludomusical qu’est ce jeu… légendaire (cet article est sponsorisé par Carambar).
Lorsqu’une série de mots apparaît en gras avec un lien hypertexte, cliquer dessus vous apportera à une vidéo du thème musical associé.
DÉTAIL IMPORTANT : la musique de ce jeu, initialement sorti sur N64, utilise une bibliothèque de sons MIDI. Elle est donc intégralement synthétique. Cependant, nombre de ces sonorités imitent ostensiblement des instruments réels relativement identifiables. Par raccourci rédactionnel, je vais employer des noms d’instruments réels comme « violons, cuivres, flûte », mais il s’agira toujours d’une version synthétique de ces instruments.
Par ailleurs, je vous présente par avance toutes mes excuses pour les dizaines d’apparitions des mots « atmosphère » et « ambiance ». C’est un thème primordial de cette OST (Original Soundtrack) et il n’y a malheureusement pas beaucoup de synonymes de ces notions.
Au commencement était la flûte
Le paisible et pittoresque écran-titre d’Ocarina Of Time accueille le joueur avec une grande sérénité, tant dans l’imagerie d’un Link à cheval galopant lentement à l’aube que dans le réarrangement duveteux de ce qui n’était au départ qu’un jingle de 4 secondes du tout premier opus de The Legend Of Zelda.
Koji Kondo ressuscite donc la séquence de six notes qui accompagnait dans Zelda 1 l’utilisation de la flûte et parvient à en extraire un thème complet de deux minutes, certes toujours minimaliste, mais d’une atmosphère imparable.
Pour ce faire, Koji Kondo puise dans l’héritage d’un compositeur classique s’étant illustré dans l’art de générer une ambiance émouvante à partir de motifs très simples : Erik Satie. Un tout petit coup d’oreille à sa Gymnopédie n°1 et l’inspiration est flagrante. Kondo emprunte à Satie ce matelas de piano à deux accords presque jazzy avant l’heure et brode juste ce qu’il faut de variations sur la mélodie de la flûte (ou, pour honorer le titre du jeu, de l’ocarina) pour obtenir un thème digne de ce nom, qui réveillera plus de 20 ans plus tard les fibres les plus nostalgiques d’entre nous à coup sûr. Ce type de tissu d’ambiance sera d’ailleurs recréé à la harpe dans le thème de fin du jeu.
Si je m’attarde autant sur ce tout premier thème audible dans le jeu, c’est parce qu’il encapsule selon moi les deux axes majeurs qui font de l’OST d’Ocarina Of Time une pièce maîtresse du genre musical qu’est la musique de jeu, mais aussi une œuvre séminale pour tout ce qui suivra dans cette série, pour ne pas dire dans toutes les séries Nintendo. Ces deux axes sont le travail d’ambiance et le réemploi de thèmes existants.
Petit aparté : ce n’est pas la première fois que Koji Kondo réutilise le jingle de la flûte…
Une multitude d’environnements, autant d’ambiances
Atmosphère
Le thème du premier donjon du jeu (l’intérieur de l’Arbre Mojo) montre d’emblée l’agilité avec laquelle Koji Kondo peut produire une atmosphère enveloppante en utilisant un contrôleur MIDI. Tout n’est que réverbération et sonorités feutrées, sans rien d’autre. Une seule piste, sporadique, qui fait éclore un thème pétale après pétale. Kondo a toujours su sélectionner ses sonorités pour pouvoir contourner les contraintes techniques avec lesquelles il composait. Dès le tout premier thème de donjon de la série, il avait astucieusement dédoublé les arpèges d’accompagnement sur deux canaux du contrôleur 8-bit pour que les notes se superposent au lieu de simplement se succéder.
Habitants
Comme toujours dans Zelda, la quasi-totalité des environnements que Link peut visiter est accompagnée d’un thème qui lui est associé. Kondo emplit chaque lieu d’une identité propre comme on colore un dessin et teinte celui-ci d’une humeur correspondant à l’impression qu’il doit nous donner, ou bien à la personnalité de ses occupants.
Ainsi, la Forêt Kokiri exulte de cette joie naïve et insouciante des Kokiri, le Village Goron rebondit avec la même maladresse que les Gorons et le Domaine Zora irradie de toute la délicatesse des Zora. Mais s’il y a bien un thème d’environnement sur lequel tous les fans de Zelda sont unanimes, c’est celui de la Vallée Gerudo.
La contrée aride et ensoleillée des voleuses du désert est aussi le fief d’un vent puissant et impétueux qui semble soulever tous les cœurs et animer quiconque pénètre en ces lieux d’une motivation inébranlable. En tout cas si l’on en croit la musique latino/gitane qui en émane. Des percussions traditionnelles crépitent en permanence, des guitares impriment une course dynamique et une autre guitare soliste joue une mélodie d’abord douce, puis reprise avec emphase par des trompettes. Impossible de rester calme en entendant cette musique vivifiante.
Paysages
Un des morceaux les plus emblématiques issus de l’OST d’Ocarina Of Time est sans surprise le thème de la plaine d’Hyrule. Orchestral (du moins, autant que le MIDI le permet), dynamique, épique et entraînant, ce thème, souvent imité mais jamais égalé dans la série, concatène dans près de 5 minutes plusieurs variations dont les orchestrations et phrasés permettent d’effrayer, d’apaiser ou de motiver le joueur selon l’heure de la journée in-game et surtout selon le lieu où il se trouve.
En effet, lorsque l’on est dans la Plaine d’Hyrule elle-même, on n’entend que les parties qu’on pourrait qualifier de « principales » du thème. L’orchestration est complète et les variations sur le thème principal ne sont pas très éloignées de celui-ci. Lorsqu’on entend ce thème au Lac Hylia, la génération contextuelle du morceau privilégiera les séquences les plus douces du thème, tandis que lorsqu’on grimpe le Mont du Péril, les portions les plus lourdes en percussions se feront invariablement entendre.
Ce choix des portions du thème selon le lieu est tellement subtil que je gage qu’encore aujourd’hui, tout le monde ne s’est pas rendu compte qu’il a lieu.
Edifices
S’il y a un type d’environnements où le travail d’ambiance de Koji Kondo est particulièrement prodigieux, c’est bien dans les donjons du jeu. Ces lieux parsemés d’énigmes et d’obstacles doivent encourager le joueur à la réflexion, donc il est tout naturel de s’éloigner du schéma typique d’un thème occupant tout le centre d’intérêt, baigné dans un accompagnement qui le met en valeur.
Kondo va plutôt œuvrer à créer une sorte de « note d’humeur », au sein de laquelle des « fractions de thèmes » feront régulièrement irruption, avant de repartir en vitesse. L’orchestration d’humeur peut être très simple (elle est même carrément inexistante dans le cas de l’Arbre Mojo) ou très sophistiquée sans pour autant devenir écœurante, comme dans le thème du Temple de l’Eau : portées par des nappes synthétiques très lentes et réverbérées, des tas de percussions scintillent, dont certaines avec un écho totalement surréaliste créant une impression de ruissellement. Les fractions de thèmes se manifestent sous formes d’arabesques sans but de flûte et de motifs de shamisen autoritaires, comme pour souligner que dans l’architecture noble et sereine de ce temple, une épreuve brutale nous attend.
L’humeur du morceau dépend bien sûr du donjon et des thématiques qu’il explore. Par exemple, le Temple de la Forêt plongeant Link dans des angoisses intérieures, son ambiance est chargée, très peu mélodique et incorpore même des échantillons d’exclamations de la voix du protagoniste. Le Ventre de Jabu-Jabu étant situé, comme son nom l’indique, à l’intérieur d’un organisme vivant, son atmosphère est nimbée de claviers dissonants et rythmée par la pulsation de percussions assourdies qui ne sont pas sans rappeler (par hasard ou pas) celles du « Teardrop » de Massive Attack et de son clip se déroulant dans une poche amniotique sorti 6 mois avant le jeu.
Pareillement, les fractions de thèmes qui vont et viennent dans un morceau ne vont pas toutes remplir les mêmes fonctions. Les voix synthétiques et chimériques du Temple de l’Ombre cultivent sans relâche le malaise omniprésent de cette chambre de torture géante, tandis que la flûte boisée du Temple de l’Esprit virevolte comme une allégorie de l’esprit du joueur qui s’élève vers une meilleure compréhension de son environnement monumental et vaporeux.
Conflits
Pour la première fois depuis qu’il compose pour la série Zelda, Koji Kondo crée un thème vers lequel le jeu transitionne lorsque Link se retrouve en situation hostile. Il y avait auparavant des thèmes pour les combats opposant Link aux bosses des donjons, mais pas pour les combats ordinaires – à l’exception de Zelda II, dans lequel le jeu basculait carrément en écran de combat comme dans un RPG, et dont la musique était composée par Akito Nakatsuka.
Dans la continuité de ce travail d’ambiance colossal, Kondo réitère pour la musique des combats : celle-ci enveloppe le joueur de textures sans lui apporter le motif central que serait une mélodie principale. De la même manière que pour les thèmes de donjons, l’ambiance se charge d’éléments non mélodiques (caisses claires, section rythmique monotone et oppressante, cordes martelant toujours les mêmes notes) et d’un son s’apparentant à une corne insinue quelques bribes de mélodies. Le but ici est de déséquilibrer le joueur plutôt que de le motiver. La musique raconte une situation tendue plutôt qu’un combat épique, ce qui prend à contrepied l’image que l’on avait classiquement des thèmes de combat, qu’il s’agisse de celui de Zelda II, de Pokémon ou, par exemple, de celui ô combien légendaire de Final Fantasy VII, sorti un an plus tôt.
Cette logique d' »ambiance de combat », plutôt que de « thème de combat » que l’on pourrait fredonner, va rester prépondérante pour tous les thèmes de combat du jeu, jusqu’au combat final. Le combat de demi-boss ajoute à son accompagnement une mélodie qui semble incomplète, comme si elle démarrait pour revenir rapidement au début de la boucle sans vraiment se conclure. Le combat de boss repose sur une boucle de piano dissonante jouée dans les graves et, comme celui des combats ordinaires, incorpore une mélodie bien plus menaçante qu’épique, d’abord aux tubas/trombones, puis à la trompette, qui n’apporte aucune résolution avant d’être supplantée par un solo de timbales et de revenir au début de la boucle. On entend distinctement une mélodie centrale pour les combats contre les deux bosses de feu (King Dodongo et Volcania).
Ce sera la seule itération d’un véritable thème principal dans une musique de combat de ce jeu. Les musiques des deux combats finaux (opposant le joueur à Ganondorf puis Ganon) sont quant à elles au pinacle du schéma d’un thème qui ne semble comporter qu’un accompagnement. Ce parti-pris artistique (l’absence totale d’une mélodie principale) profondément anticlimactique apporte deux fonctions majeures à ces thèmes, tout particulièrement celui du combat contre Ganon : d’une part, ils incitent le joueur à agir en insinuant que c’est à lui de composer son combat ; d’autre part ils poussent le joueur à la réflexion, car ils ne l’emportent nulle part. On est subtilement invité à prendre le temps de planifier ses actions sans précipitation.
Des environnements extérieurs aux intérieurs, des situations paisibles aux combats, Koji Kondo a réalisé dans Ocarina Of Time, avec la simple palette sonore limitée d’une bibliothèque MIDI, un travail impressionnant d’architecture d’ambiance musicale. Mais il ne s’en est pas tenu à cela, bien au contraire. Ecoutons maintenant son recours à de nombreux thèmes pré-existants et futurs morceaux obligés de la série.
Anciens et nouveaux thèmes, usages multiples
A Link To The Link To The Past
Ocarina Of Time est le cinquième jeu sorti sous la licence The Legend Of Zelda. Il est également le troisième dont la musique fut composée par Koji Kondo, encore aujourd’hui le superviseur audio de la série. L’OST de ce jeu est l’occasion pour Kondo d’étoffer le catalogue des thèmes qui resteront associés à la série, mais aussi d’en réemployer quelques uns : ceci a pour double effet d’inscrire le jeu dans l’oeuvre globale qu’est la franchise Zelda et de saluer les joueurs connaissant déjà les opus précédents avec quelques signes familiers. Le lien avec le tout premier jeu Zelda est établi dès l’écran-titre, comme on l’a vu au début de cet article (il y a environ 74 ans). Mais c’est dans A Link To The Past que Kondo ira piocher des thèmes à proprement parler pour en faire les premiers thèmes « coutumiers » de la série.
Sélection de fichier – Fontaine des Fées
Ocarina Of Time renvoie au tout premier Zelda dès son écran-titre, mais il ne se fait pas prier pour rappeler A Link To The Past tout de suite après, sur le menu de sélection des fichiers. Ce thème reviendra aussi in-game, où il deviendra la musique d’environnement des Fontaines des Fées, lieux auquels il restera associé tout au long de la série. Mais il est loin d’être le seul dans cette situation.
Le Village Cocorico
Le Village Cocorico n’en est pas à sa première apparition quand on le découvre dans Ocarina Of Time. Il existait déjà dans le jeu précédent et Kondo décide, pour marquer le coup, de réutiliser son thème quasiment tel quel, en profitant de la meilleure technologie de production de son de la Nintendo 64.
Mais le compositeur ne rate jamais une occasion de jouer avec les sentiments du joueur. La première fois que Link arrive à Cocorico dans Ocarina Of Time, il est enfant. Pour rendre le village le plus accueillant possible, Kondo réorchestre le thème, privilégiant à la grandeur des cordes de la version A Link To The Past un accompagnement simple et doux à une seule guitare. Cette version qu’on pourrait dire plus intimiste du thème de Cocorico donne au village un air plus cossu faisant écho à sa disposition physique dans le jeu, niché entre des collines et le Mont du Péril.
Mais au fil de l’aventure de Link dans Ocarina Of Time, sept années défilent et Link peut revenir à Kokoriko à l’âge adulte. Le thème qu’arbore alors le village reprend cette fois-ci trait pour trait l’accompagnement aux cordes de sa version initiale. Ce changement subtil d’orchestration n’est pas anodin. Premièrement, à l’intérieur du jeu, Hyrule et le Village ne sont plus aussi prospères quand Link est adulte. Ces cordes, ainsi qu’une légère accélération du tempo, annoncent la gravité qui s’est installée au village en lieu et place de l’insouciance d’il y a sept ans. Deuxièmement, dans le monde réel, le fait pour le joueur d’entendre cet accompagnement identique à celui de la version A Link To The Past peut avoir l’effet suivant : se rendre compte du temps qui a passé. En effet, par un heureux hasard, Ocarina Of Time est sorti exactement 7 ans après A Link To The Past. Ainsi, un joueur ayant joué aux deux jeux à leur sortie y aura joué avec 7 ans d’écart. Ce retour à l’orchestration initiale (paroxysme de l’effet nostalgique) pour accompagner le passage à l’âge adulte de Link permet d’indiquer au joueur que le temps qui a passé dans le jeu est précisément le temps qui a passé entre les deux moments où il a entendu ces cordes.
Ganon/Ganondorf
Un autre thème majeur repris de l’épisode SNES n’est autre que celui de Ganon. Ce thème réapparaît dans Ocarina Of Time dans plusieurs cinématiques où Ganondorf s’adresse à Link, mais il est surtout le thème du tout dernier donjon du jeu, qui est d’ailleurs le seul à être littéralement un donjon : la Tour de Ganon. A mesure que Link gravit la tour pour sa confrontation finale avec le Seigneur des Ténèbres, le joueur entend de plus en plus fort ce thème, joué à l’orgue par Ganondorf lui-même. Une chose est intéressante à souligner : A Link To The Past est le dernier Zelda où Ganon est un personnage parlant. A partir d’Ocarina Of Time, il est associé à un pendant humain, Ganondorf. Ganondorf est un personnage parlant et intelligent, tandis que Ganon n’est plus que la forme bestiale prise par sa rage la plus primale et alimentée par la puissance de la Triforce de la Force. Or, également à partir d’Ocarina Of Time, c’est à Ganondorf que ce thème sera toujours associé plutôt qu’à Ganon. C’est donc plutôt le thème de Ganondorf que celui de Ganon, à partir du moment où la distinction entre ces deux entités a existé.
La passerelle des Sages
Un petit peu plus tôt, pour accéder à ce fameux chateau, Link doit trouver un moyen de franchir le précipice rempli d’un tourbillon de lave qui le sépare du plancher des vaches. Il y parvient après avoir sauvé les six Sages, qui font apparaître une passerelle de lumière qui permet la traversée. La musique que l’on entend au cours de cette cinématique n’est autre que le thème de l’écran-titre d’A Link To The Past.
Trésors
Dans Zelda, l’aventure nous mène à collecter de nombreux trésors, d’importance variable. Des jingles, voire de courtes cinématiques, accompagnent ces moments d’obtention de trésors. Ici encore, Kondo crée une tradition en entérinant pour de bon le thème entendu lors de l’obtention de l’Epée de Légende : le thème employé est exactement le même pour les épisodes SNES, N64, GameCube, Wii, 3DS et même Breath Of The Wild.
Une version un peu remodelée sert également, depuis Ocarina Of Time, à enjoliver les cinématiques d’ouvertures de gros coffres.
Ce thème n’est d’ailleurs qu’une mise en grande pompe du jingle accompagnant l’obtention d’un trésor important depuis le tout premier Zelda. Celui-ci sera d’ailleurs enrichi dans Ocarina Of Time pour générer la fanfare d’obtention d’un coeur supplémentaire qui sert encore à ce jour avec un glorieux piano dans Breath Of The Wild.
La Princesse Zelda
Pour créer le thème de la Princesse Zelda (qui lui collera à la peau désormais), Kondo récupère celui qui accompagnait la rencontre des descendantes des Sages (dont Zelda fait partie) dans l’opus SNES. Rarement une mélodie aussi simple que deux fois trois notes aura été aussi marquante que celle-ci, mais il est évident que ce n’est pas, pour le coup, le génie de composition de Kondo qui est entièrement responsable de ce phénomène. Le crédit revient essentiellement au fait qu’elle soit étroitement associée à la princesse titulaire de la série, ainsi qu’à la fréquence à laquelle le joueur doit lui-même jouer cette berceuse dans le jeu.
Toutefois, il est pertinent de souligner l’orchestration de ce morceau tel qu’on l’entend dans la cour de la princesse, au Château d’Hyrule : Koji Kondo crée un accompagnement constitué d’une harpe jouant de simples accords, doublée d’un très discret tapis de cordes, ces deux éléments évoquant sans nul doute la noblesse de la princesse, tout du moins celle qui est inhérente à son statut. Mais la mélodie principale, elle, est jouée à l’ocarina pour indiquer l’appartenance de l’Ocarina du Temps à Zelda plutôt qu’à Link, ainsi qu’une sagesse très contenue et mesurée, caractéristique intégrante du personnage à travers la série (à quelques rares exceptions près).
Créations mythiques
Ce travail d’orchestration, particulièrement sur l’association d’un timbre instrumental à un personnage, rappelle immanquablement le Pierre et le Loup de Segueï Prokoviev, oeuvre majeure dans laquelle le compositeur russe associera à chaque personnage un instrument aisément reconnaissable, comme la flûte traversière pour l’oiseau, les cors pour le loup ou le basson pour le grand-père de Pierre.
Kondo aura recours à ce procédé pour la majorité des personnages ayant un thème propre dans le jeu : Navi est représentée par le carillon, la chouette Kaepora Gaebora par un basson qui ne peut pas être un hasard quand on se souvient de l’oeuvre de Prokofiev, les deux sorcières Koume et Kotake magnifiquement incarnées par deux flûtes identiques et tournoyantes, mais surtout, Sheik se pare du double timbre de la harpe doublée d’un lit de cordes qui relève presque du spoiler si on s’y penche quelques secondes. Koji Kondo est un espiègle personnage…
Motifs récurrents
La musique de jeux vidéo est un terrain de prédilection pour l’utilisation par les compositeurs de l’outil qu’on appelle Leitmotiv. Ce terme compilé au XIXème siècle par des musicologues allemands bien plus pointus que votre humble serviteur désigne toute phrase, séquence de notes ou mélodie qui revient plusieurs fois au cours d’une oeuvre. Certains compositeurs de jeux vidéo manipulent les Leitmotive avec une grande dextérité, dont Nobuo Uematsu, grand maître de la série Final Fantasy, ou Matt Uelmen, auteur de motifs légendaires pour le jeu Diablo. Bien entendu, cette section sert à montrer comment Koji Kondo emploie de manière multiple la majorité des motifs qu’il a créés pour ce jeu.
Les chants d’ocarina
Au fil de l’aventure, Link, rapidement pourvu d’un ocarina, apprend à jouer une douzaine de mélodies ayant divers effets magiques. Les 6 premiers chants sont dits « monophoniques », c’est-à-dire que lorsque Link les joue au cours de la mini-cinématique associée, il les joue seul, sans accompagnement. Les 6 suivants sont dits « polyphoniques » car Link est rejoint par un accompagnement orchestral quand il les joue en entier. Les 6 chants polyphoniques, jouant tous la fonction de téléporteurs, sont tous magnifiques (avec une nette préférence personnelle pour le Boléro du Feu et la Sérénade de l’Eau), mais ce sont les 6 thèmes monophoniques qui brillent le plus de par leur statut de Leitmotive d’Ocarina Of Time.
- La Berceuse de Zelda est par association le thème principal du jeu. Elle revient à de nombreuses reprises, essentiellement lorsqu’on est en présence de la princesse elle-même. La Berceuse est aussi (à l’instar, dans une moindre mesure, du Chant de Saria), le thème du générique de fin du jeu. Enfin, la petite séquence de trois notes fait une apparition furtive dans le thème de Sheik.
- Le Chant d’Epona, morceau qui scelle la relation rapprochant Link de sa fidèle monture – et permet au joueur de la faire arriver à proximité – est également le thème du Ranch Lon-Lon, lieu où l’on rencontre la jument. Lorsque le joueur se promène dans la quiétude nonchalante du ranch, il entend le chant d’Epona entonné soit par la voix synthétique (et atroce, soyons francs) de Malon, soit par ce qui semble être un harmonica ou un fiddle, s’intégrant naturellement à l’accompagnement décidément country/sudiste du morceau.
- Le Chant de Saria, version hyrulienne du téléphone portable ayant Saria pour destinataire unique, est aussi le très célèbre thème des Bois Perdus, au fond desquels Saria le joue elle-même sur un Ocarina des Fées. Ce thème fait aussi une apparition dans le générique de fin.
- Le Chant du Soleil est le seul chant du jeu qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre pour le finir, et pourtant l’un des morceaux prépondérants de l’OST. Permettant à Link de faire passer 12 heures en quelques secondes, le Chant du Soleil peut surtout être entendu à tous les endroits où résonne le thème de la Plaine d’Hyrule, au lever du jour. Il est donc l’intro de ce thème. Par extension, si l’on considère que chaque apparition in-game d’un chant monophonique est sa version complète, la version complète du Chant du Soleil est le thème de la Plaine d’Hyrule. Il dure donc environ 5 minutes, ce qui en fait le chant d’ocarina le plus long du jeu. L’apparition du Chant du Soleil au lever du jour est devenue une tradition de la série, mais aucun autre thème ne se marie aussi bien avec cette intro que celui de la Plaine d’Hyrule.
- Le Chant du Temps, à l’instar de la Berceuse de Zelda, a des pouvoirs magiques variés, dont celui d’ouvrir les Portes du Temps qui gardent l’Epée de Légende dans le Temple… du Temps. Ce chant, le seul chant monophonique qui soit distinctement sombre et mélancolique, est sans surprise celui que l’on entend dans le Temple du même nom, chanté par un choeur d’apparence monastique. Enfin, ce même thème accompagne la cinématique-pivot de l’ouverture des Portes du Temps, à l’occasion de laquelle Kondo utilise le mécanisme dit de « tierce picarde » pour conclure la scène sur une note satisfaisante, contrastant avec le ton triste du chant lui-même.
- Le Chant des Tempêtes, permettant de déclencher un orage à tout moment, est également le thème du Moulin à Vent (officiellement « ? » dans le jeu), où il est joué par le musicien qui s’y trouve, à l’orgue de barbarie.
Création d’héritages
Deux autres thèmes issus de ce jeu sont restés des thèmes obligatoires pour leurs locaux respectifs au fil de la série :
- Le thème de l’intérieur des maisons, par exemple dans Skyward Sword.
- Le thème des boutiques, qui fait par exemple une apparition discrète après quelques mesures dans le thème des boutiques Terry de The Wind Waker.
Deux grands absents
Il est désormais évident que l’OST d’Ocarina Of Time contribue énormément au positionnement du jeu dans ce qui s’installait peu à peu comme une série pilier de la culture vidéoludique, de par l’entérinement de certains thèmes pré-existant et la création d’autres futurs impondérables musicaux de la série. Cependant, deux thèmes pourtant incontournables de la franchise Zelda sont, eh bien, contournés par le premier jeu en 3D de la franchise.
Le thème du Château d’Hyrule, splendide et imposant arrangement symphonique (enfin, en 16-bit quand même) apparu dans A Link To The Past et réutilisé avec toujours autant de superbe plus ou moins à chaque fois qu’un épisode de Zelda voyait Link arpenter ledit Château (par exemple dans A Link Between Worlds), ne figure pas dans l’OST d’Ocarina Of Time. Pourtant, Link se promène devant et dans le Château, et pas de manière anecdotique ! Mais cette omission de thème n’est qu’un détail comparé à l’autre…
Eh oui, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le thème principal de la série The Legend Of Zelda est totalement absent du jeu le plus vénéré de cette série. Peu de jeux Zelda peuvent en dire autant. Même ceux qui se passent dans des contrées différentes d’Hyrule trouvent un moyen de le caser quelque part. Majora’s Mask se permet même de réitérer ce que le premier jeu et A Link To The Past avaient fait et le prend comme thème de sa plaine principale, mais nous reviendrons sur ce point dans un autre article (héhé).
Je pourrais détailler davantage les spécificités de certains thèmes, les similitudes inter-franchises des thèmes de mini-jeux de Koji Kondo ou le travail non-musical macabrement fascinant des thèmes les plus lugubres du jeu, mais je pense avoir couvert le plus gros de ce qui rend cette OST aussi brillante.
The Legend Of Zelda: Ocarina Of Time est un jeu incontournable pour quiconque voit les jeux vidéo comme une culture à proprement parler et il surgit très fréquemment dans de nombreux « Top ?? » rétrospectifs. Mais bien qu’il y soit salué à juste titre pour ses apports révolutionnaires de techniques de gameplay ou de narration interactive, sa bande-son n’est bien souvent mentionnée que très brièvement. On la dit souvent excellente, mais on dit plus rarement pourquoi.
J’espère humblement avoir apporté ici quelques éléments de réponse.
Au fait, la musique du jeu termine sur une note suspendue. Classe jusqu’à la dernière note, ce jeu.
Big up à GilvaSunner pour sa collection exhaustive de musiques de jeux sur YouTube.
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